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Le management à l’ère du bouleversement permanent
Un article rédigé par notre expert formateur Grégory CLAVÉ
On nous parle à longueur de journée de “nouvelles générations” qui ne voudraient plus travailler comme avant, de “nouvelles technologies et d’IA” qui révolutionneraient nos modes de collaboration, ou encore d’“entreprises libérées” censées abolir la hiérarchie et transformer chaque collaborateur en leader autonome. Je suis désolé, mais je n’y crois pas. En tout cas, pas dans la forme idéalisée qu’on nous vend.
J’ai une conviction simple et forte : le management est et restera avant tout une affaire de relations humaines, de clarté d’objectifs et d’incarnation du rôle de leader. Les équipes ont besoin d’un manager “guide”, qui sache donner la direction, trancher les arbitrages et assumer ses responsabilités. Évidemment, il doit le faire en respectant et en valorisant l’intelligence collective, mais sans abdiquer son rôle.
Or, à force de se gargariser de concepts “à la mode”, certaines entreprises en oublient les fondamentaux : des moments d’échange en présentiel, l’importance du non-verbal, la nécessité d’ajuster le cap en étant physiquement à l’écoute de ce qui se passe sur le terrain. Dans cet article, je souhaite donc défendre une posture “back to basic”. Non pas un repli frileux sur le passé, mais un recentrage sur ce qui fait réellement fonctionner les équipes : un management incarné, humain et concret.
1 – Les illusions du “tout nouveau” : l’excès de hype nuit au réalisme
Lors de mes échanges en entreprise, j’entends souvent :
- Les nouvelles générations (Y, Z…) sont “ingérables” : elles n’accepteraient plus la hiérarchie, ne voudraient plus d’horaires fixes et exigeraient une autonomie totale.
- La technologie va tout changer : télétravail, outils de collaboration, intelligence artificielle… On nous promet un bureau sans frontières, où chacun travaille où il veut, quand il veut, sans réelle nécessité de se voir en face à face.
- L’entreprise libérée est l’avenir : fini le management, vive l’autogestion !
Sur le papier, ça peut faire rêver. Dans la réalité, voilà ce que je constate :
1 – Les collaborateurs ont besoin d’un cadre : qu’ils soient nés en 1965 ou en 2000, ils souhaitent savoir où va l’entreprise, pourquoi, et quel rôle ils ont à y jouer. Supprimer le manager n’efface pas la nécessité d’avoir un cap clair, ni la légitimité d’un leader pour arbitrer.
2 – Le 100 % distanciel ne fonctionne pas sur la durée : oui, le télétravail est un formidable complément quand il est choisi et maîtrisé. Mais prétendre manager exclusivement via Zoom, Slack ou Teams, c’est oublier l’importance des signaux non verbaux, des échanges informels et du sentiment d’appartenance qui se construit aussi par le contact humain.
3 – L’autogestion complète est un mirage : Même dans les “entreprises libérées”, on trouve souvent des leaders naturels ou des cercles de décision qui, en pratique, assurent la fonction managériale… sans toujours oser le dire.
En clair, croire que tout va se régler par une couche de “nouveau management” est aussi naïf que penser qu’il suffit de décréter la “liberté” pour que tout le monde avance dans la même direction. Le rôle du manager reste fondamental : c’est elle/lui qui porte la vision, régule les tensions, accompagne les changements et, surtout, assume la responsabilité en adoptant une posture de « manager-guide ».
Pourquoi je défends la figure du “manager-guide”
J’utilise volontairement le mot “guide” plutôt que “leader”. Pourquoi ? Parce qu’un guide :
1 – Connaît le terrain : il a la responsabilité de repérer les obstacles, d’anticiper les difficultés et de proposer les meilleurs chemins pour atteindre l’objectif.
2 – Endosse le risque : nu guide qui emmène des alpinistes en haute montagne sait qu’il est responsable de la sécurité de son groupe. De même, en entreprise, le manager est responsable de la réussite collective, mais aussi de la protection et de la cohésion de l’équipe.
3 – Communique de manière directe et claire : en situation d’urgence ou de tension, on n’a pas le temps pour des débats interminables. Le guide doit être capable de trancher et d’expliquer ses décisions.
Cette posture de “manager-guide” ne signifie pas autoritarisme ou manque de respect envers l’équipe. Bien au contraire ! Elle repose sur l’écoute, la crédibilité et l’exemplarité.
- Écoute : le manager-guide reste attentif aux signaux faibles, aux retours du terrain, aux préoccupations de chacun.
- Crédibilité : il ne se contente pas de discours ; il prouve par ses actes qu’il maîtrise le sujet.
- Exemplarité : le guide ne demande pas à ses collaborateurs ce qu’il n’est pas prêt à faire lui-même.
À mes yeux, c’est ce type de leader qui répond réellement aux attentes des équipes, quelles que soient leur génération ou leur sensibilité et tout cela au contact de ses équipes.
“Back to basic” : redonner ses lettres de noblesse au face-à-face
Dans le sillage de la crise sanitaire, beaucoup d’entreprises ont basculé en télétravail. Sur le moment, ça a permis de maintenir l’activité. Mais combien ont fait l’erreur de croire que l’on pouvait désormais “tout” gérer à distance ?
Revenir au basique, c’est comprendre qu’un écran ne remplacera jamais un échange physique. Et ce n’est pas de la nostalgie, c’est une nécessité relationnelle :
1 – Le non-verbal compte autant que le verbal : les micro-expressions, la posture, le regard… tout ça disparaît ou s’atténue grandement en visioconférence. Or, ces signaux sont essentiels pour détecter un malaise, un doute, ou au contraire un enthousiasme réel.
2 – Les relations de confiance se construisent dans l’informel : qui n’a jamais réglé un conflit latent ou débloqué un projet autour de la machine à café ou lors d’un déjeuner improvisé ? Ces moments “off”, impossibles à planifier, sont pourtant souvent décisifs.
3 – La dynamique de groupe ne se décrète pas : on parle beaucoup de “team building” virtuel, mais rien ne vaut le fait de passer une journée ensemble sur le terrain, de partager des rires ou de vivre un atelier en présentiel.
Bien sûr, je ne propose pas de bannir le télétravail. Mais il faut, à minima, préserver des temps de rencontre physique, pour créer et entretenir la cohésion. Le manager a tout intérêt à organiser régulièrement des sessions de travail en commun, ne serait-ce que pour garder le contact humain et s’assurer que chacun avance dans le même sens.
Alors comment concilier les avantages du télétravail , tels que moins de trajets, plus de souplesse, avec la nécessité de conserver le contact réel ? Je préconise de mettre en place des rendez-vos managériaux réguliers en physique :
1 – Les “one-to-one” en personne : au moins une fois par mois, chaque collaborateur doit pouvoir échanger de vive voix avec son manager. L’idée est d’aborder aussi bien les sujets opérationnels que les enjeux de développement professionnel ou personnels autour de la motivation, des difficultés, des aspirations.
2 – Les réunions d’équipe en présentiel : il ne s’agit pas forcément d’avoir un ordre du jour chargé, mais de partager une vision, discuter des priorités, écouter les retours. C’est aussi l’occasion de capter l’énergie du groupe et de détecter les signaux d’alerte , voire des tensions, des frustrations….
3 – Les moments informels assumés : petit-déjeuner d’équipe, afterwork, déjeuner collectif… Ces instants sont cruciaux pour renforcer les liens, échanger sans filtre et créer de la complicité.
Ces pratiques sont indispensables pour maintenir un niveau d’implication et de confiance élevé. Le risque du tout-distanciel, c’est l’isolement, la fragmentation de l’équipe en silos virtuels, et à terme, la perte de sens quel que soit les générations.
Non, toutes les générations ne se ressemblent pas… mais l’essentiel ne change pas
On a beaucoup glosé sur la “génération Z” ou la “génération Y” en prétendant qu’elles étaient en rupture totale avec leurs aînés. En vérité, j’ai constaté des différences de posture ou d’outils, mais le fond reste le même :
- Tous les collaborateurs, jeunes ou moins jeunes, ont besoin d’un sens à leur travail.
- Tous ont envie d’être écoutés et reconnus.
- Tous cherchent un équilibre entre vie pro et vie perso.
Ce n’est pas nouveau ! Peut-être que les plus anciens étaient moins enclins à l’exprimer ouvertement, mais la quête de sens et de reconnaissance a toujours existé.
Quant à la supposée “rupture” hiérarchique, soyons francs : la majorité des nouveaux entrants dans l’entreprise attendent quand même un pilote dans l’avion. Ils ne veulent pas qu’on leur dise exactement quoi faire minute par minute, mais ils apprécient d’avoir un manager capable de fixer un cadre, de donner des repères clairs et de valoriser leurs réussites.
En parallèle, l’explosion des outils digitaux a donné l’illusion que le management pouvait se dématérialiser, voire se “squeezer”. C’est ignorer une réalité : l’outil ne remplacera jamais la relation. Les meilleures plateformes collaboratives ne feront pas disparaître les conflits, ne motiveront pas magiquement les équipes et ne donneront pas de sens au travail. Au contraire, un usage excessif de la technologie peut générer :
1 – Une surcharge d’informations : trop de canaux (mails, chats, visios…) tue la communication et épuise les collaborateurs.
2 – Une perte de lien humain : on se cache derrière un écran plutôt que d’aller discuter directement d’un problème.
3 – Une confusion des rôles : à force de mettre tout le monde dans le même canal, on ne sait plus qui décide, qui exécute, qui valide.
Soyons clairs : je ne suis pas contre la technologie. Elle offre des gains de productivité et de souplesse incontestables. Mais c’est le manager, en tant que “guide”, qui doit en orchestrer l’utilisation de façon pertinente et mesurée, pour servir le collectif plutôt que le disperser.
R.O.R.A. : un cadre pour donner du sens et organiser l’action
Mais endosser un rôle de guide ne se limite pas au charisme ou à la communication : il s’agit aussi de baliser la route pour l’équipe. C’est ici qu’intervient l’outil que je nomme R.O.R.A., composé de quatre étapes :
1 – Rêver (ambition)
- Quel grand objectif souhaite-t-on atteindre ?
- Quelle aspiration va donner de l’énergie et de la cohésion au groupe ?
2 – Objectifs
- Quels objectifs concrets et mesurables découlent de cette ambition ?
- Sont-ils clarifiés et acceptés par l’équipe ?
3 – Résultats
- Comment évaluerons-nous notre progression ?
- Quels indicateurs ou métriques allons-nous suivre ?
4 – Actions
- Quelle feuille de route construisons-nous pour atteindre ces résultats ?
- Qui fait quoi, et pour quand ?
Grâce à R.O.R.A., le manager-guide peut relier la “part de rêve” , la vision avec la réalité du terrain : définir des objectifs clairs, suivre des résultats concrets et orchestrer les actions de chacun. Cette approche prévient la dispersion et canalise l’énergie collective vers un but partagé. C’est un formidable outil d’alignement pour les équipes.
Le management s’apprend : un accompagnement stratégique pour l’entreprise
Le management ne fait plus rêver. Pourquoi ? Parce qu’il est souvent livré à lui-même, sans véritable formation, sans soutien, sans reconnaissance. Ceux qui occupent ces rôles sont parfois laissés dans une solitude managériale, se débattant avec des exigences sans les moyens de les remplir. Le management est un métier à part entière. Il ne suffit pas d’être un expert technique pour être un bon manager, ni d’avoir des “soft skills innées” pour diriger une équipe. Comme tout métier, le management nécessite des savoir-faire et des savoir-être spécifiques qui s’acquièrent et se perfectionnent avec le temps, l’expérience… et la formation.
1 – Le manager : un rôle clé trop souvent négligé
Dans de nombreuses entreprises, on promeut encore les meilleurs techniciens ou les meilleurs commerciaux au poste de manager, en partant du principe que leur expertise fera d’eux de bons responsables d’équipe. Souvent, ils se retrouvent livrés à eux-mêmes, sans réel accompagnement, ni méthodologie, ni soutien (étude Robert Walters de 2024 indiquant que 35% des managers n’avaient reçu aucune formation sur le management). Or, le risque est grand : un manager mal formé ou isolé va développer des pratiques approximatives, parfois contre-productives, voire toxiques pour l’équipe. À l’inverse, un manager correctement accompagné pourra rapidement trouver ses marques, asseoir sa légitimité et instaurer un climat de confiance.
2 – L’importance de la formation continue
Le management n’est pas un savoir figé. Les contextes économiques, technologiques et humains évoluent sans cesse, imposant de repenser en permanence ses pratiques managériales. Se former régulièrement, c’est :
- Actualiser ses connaissances : Mieux comprendre les enjeux de l’intelligence émotionnelle, de la régulation de conflits, de la conduite du changement…
- Prendre du recul : Analyser ses propres biais, ses réussites comme ses échecs, et s’ouvrir à de nouvelles méthodes ou approches.
- Renforcer son réseau et son ouverture : Les formations sont souvent l’occasion d’échanger avec des pairs, de découvrir d’autres secteurs, d’autres cultures d’entreprise.
S’il est un sujet sur lequel les entreprises gagneraient à investir massivement, c’est bien la montée en compétences de leurs managers et middle managers. Ce sont eux, sur le terrain, qui orchestrent la performance, la cohésion et la motivation des équipes au quotidien.
3 – Les vertus de l’accompagnement sur mesure
Au-delà des formations “catalogue”, il peut être très utile de recourir à des dispositifs plus personnalisés :
- Coaching individuel ou collectif : pour travailler sur les problématiques propres à chaque manager (leadership, gestion du stress, posture, etc.).
- Mentorat : Être accompagné par un pair expérimenté ou un ancien dirigeant qui partage retour d’expérience et bonnes pratiques.
- Communautés managériales internes : dans certaines organisations, la mise en place de cercles d’échange entre managers s’avère très fructueuse pour briser l’isolement, mutualiser les outils et confronter les points de vue.
Ces parcours d’accompagnement renforcent la cohérence managériale et créent un langage commun au sein de l’entreprise. Ils permettent aussi de développer une vraie “culture managériale”, fondée sur la confiance, la clarté des objectifs et le respect des singularités de chacun.
Manager au présent : un équilibre entre ancrage et pragmatisme
Loin des modes managériales éphémères, manager au présent signifie assumer le réel, ici et maintenant. C’est un art subtil : rester fidèle à des fondamentaux solides (clarté, proximité, responsabilité), tout en s’adaptant aux évolutions de l’environnement et aux besoins spécifiques de son équipe.
1 – Ancrage sur les fondamentaux
- Un cap clair : les collaborateurs, quelles que soient leur génération et leur fonction, ont besoin de comprendre où va l’entreprise, pourquoi elle y va, et ce qui est attendu d’eux (R.O.R.A).
- Des rituels en présentiel : il ne suffit pas d’avoir un superbe organigramme ou des process bien définis ; il faut maintenir le lien humain, le regard, le contact direct pour détecter et résoudre rapidement les problèmes.
- Le courage managérial : trancher lorsqu’il y a un conflit, recadrer quand c’est nécessaire, et assumer ses choix. L’autorité ne s’use pas quand on l’exerce de façon juste et transparente.
2 – Pragmatisme face à l’incertitude
- Agilité mesurée : on peut s’inspirer de méthodes de travail flexibles (scrum, kanban, etc.) si cela sert le projet et l’équipe, mais sans verser dans l’errance ou le chaos.
- Technologie raisonnée : oui, on peut optimiser la communication grâce aux outils digitaux, mais en gardant un esprit critique sur la surcharge d’informations ou l’éloignement relationnel.
- Ouverture d’esprit : écouter les propositions, expérimenter de nouvelles approches, accueillir la diversité des profils. L’autorité du manager ne doit pas étouffer la créativité de l’équipe.
Un management incarné pour des équipes soudées et performantes
Ce dont les équipes ont réellement besoin, aujourd’hui comme hier, c’est d’un manager-guide: quelqu’un qui sait où il va, pourquoi il y va et qui assume la responsabilité de faire avancer son équipe dans la bonne direction. Un manager capable d’être à l’écoute, de faire confiance, mais aussi de prendre ses responsabilités et d’affronter les difficultés avec courage et lucidité.
Et parce que le management ne s’invente pas, il est essentiel d’accompagner celles et ceux qui exercent ce métier, notamment les middle managers, souvent en première ligne et pourtant trop peu formés. Au-delà des effets de mode, la vraie modernité managériale consiste à valoriser ce rôle clé et à donner à chacun les outils, la posture et le soutien nécessaires pour l’assumer pleinement.
En définitive, revenons à l’essentiel : le contact humain, la clarté des objectifs, la confiance mutuelle et le courage d’arbitrer. C’est ce “back to basic” qui, loin d’être rétrograde, permet aux organisations de rester performantes et cohérentes dans un monde en mutation. Et c’est en retrouvant ce socle fondamental, tout en continuant à se former et à innover avec discernement, que les managers pourront réellement emmener leurs équipes vers le succès sur le long terme.